Guadeloupe : Les Abymes font vibrer le Vivre-ensemble

Logo Ateliers AbymesLa question du vivre-ensemble ne se pose pas seulement dans la vieille Europe mais aussi de façon de plus en plus inquiétante en Outre-mer avec la progression des incivilités et parfois même de la criminalité. C’est pourquoi, lancés à l’initiative des élus de la ville des Abymes, les premiers Ateliers du Vivre-ensemble et de la Fraternité étaient très attendus. Durant deux jours, élus (conseillers régionaux, généraux, municipaux), responsables associatifs, étudiants, simples citoyens ont ainsi multiplié les prises de parole. Tant pour faire partager leurs constats sur la société guadeloupéenne que pour tracer des pistes d’avenir. En ce sens, ces Ateliers ont atteint leur but avec une véritable efflorescence de propositions.

 

Il est vrai que ces deux journées avaient été longuement préparées. Et venaient conclure une année entière consacrée par la Mairie au thème « Ensemble, faisons-vivre les solidarités ». Après les premiers contacts établis avec le Collectif deux ans auparavant, Eliane Guiougou, adjointe au maire, vice-présidente du CCAS, a provoqué la formation d’un noyau informel de leaders parmi les élus et les cadres.

Ce groupe placé sous l’autorité de Roseline Lubin, directrice générale du CCAS, a ensuite formalisé d’une manière plus conventionnelle la répartition des tâches et mené les différentes étapes en collaboration avec le Collectif : réflexion stratégique , identification des axes de travail, mobilisation interne et externe, jusqu’à l’organisation de l’événement… Des « préateliers » avaient notamment été organisés en septembre dernier, pour affiner le programme définitif des Ateliers et susciter la réflexion sur trois thèmes :
– la place des jeunes dans la cité,
– les liens intergénérationnels
– l’implication citoyenne.

En passant par la Bretagne…

mjh au pupitreTradition oblige, Marie-Jo Halet, adjointe au maire de Vitré, est venue transmettre le Trophée de la Fraternité à la ville des Abymes, qui en est le nouveau dépositaire. L’occasion pour elle de revenir sur les avancées que Vitré a connues depuis les Ateliers qui s’y étaient déroulés le 29 novembre 2012.

Outre la mise en œuvre d’horaires de crèche décalés et la réalisation d’une fresque murale par les jeunes, qui n’a depuis jamais été dégradée, les enseignements des Ateliers ont facilité la création d’un centre municipal de la jeunesse et la généralisation de « maisons de quartier ». Des campagnes de lutte contre l’isolement ont été lancées, assorties de la mise en place de logements sous le thème « Un toit, deux générations », dans lesquels les jeunes s’acquittent de leur loyer sous la forme de services rendus à la personne qui les héberge (courses, ménage, lecture…). Grâce à l’adoption d’une Charte du bénévolat, le parrainage de jeunes par des bénévoles s’est généralisé : « il y a désormais plus de candidats parrains que de jeunes à parrainer ». Dans le même temps, les citoyens se prennent en main comme l’a montré l’organisation d’une « Fête de toutes les couleurs », rassemblant les 60 nationalités présentes sur la ville, fête entièrement gérée par les habitants eux-mêmes. Enfin, Marie-Jo Halet s’est félicitée d’avoir vu se renforcer le travail en commun entre la ville et les associations.

 

remise troph    maire avec trophee

 

Jeunesse : éclaircir un avenir orageux

Il est certain qu’avec un taux de chômage de l’ordre de 45% chez les moins de 30 ans, la situation de la jeunesse est particulièrement préoccupante. Aux mécanismes contemporains de repliement vers l’abstraction (jeux vidéo, réseaux sociaux…) s’ajoutent des mauxpublic sexprime spécifiques à l’archipel, dont celui de la toxicomanie, les Caraïbes constituant une plaque tournante du narco trafic latino-américain vers les USA et l’Europe. De nombreux participants sont intervenus pour souligner les dérèglements du fonctionnement traditionnel de la famille, dont la disparition du repas familial : « Le repas constituait un moment d’échanges, parfois dans le conflit. Mais faute de se parler, les enfants ne comprennent plus les parents et les parents ne comprennent plus les enfants ».

D’où un flot de suggestions allant de la garde d’enfants partagée entre parents à la mise en place de « pédibus » et surtout la création de lieux de rencontre entre ados et adultes en dehors du foyer familial. Concernant les jeunes adultes, la dimension existentielle a été abordée de front : « Même diplômés, les jeunes se sentent face à un mur et ne ressentent pas d’utilité sociale. Ce qui explique à la fois la dégradation du lien social et la progression de la délinquance ». Un obstacle essentiel que les participants se sont accordés à ne pouvoir franchir que par une meilleure connaissance de l’autre : « C’est par le dialogue que l’on comprendra mieux les attentes, pas par enquêtes… ».

tr inauguraleDe la même façon qu’ont été fortement contestées les catégorisations imposées par les prestations sociales, dans la mesure où « les problèmes des 30-35 ans sont souvent les mêmes que ceux des post-ados ». Plusieurs suggestions concrètes ont été avancées : faire renaître en l’améliorant grâce au concours d’adultes insérés la pratique des « grands frères » ; créer sur internet une liste des personnes ressources par quartier pour qui veut se renseigner sur un emploi, un voyage, une activité temporaire… ; organiser un « accueil familial » d’une ou deux semaines pour les jeunes dont la vie en famille se dégrade et se trouve en risque de rupture. La Croix-Rouge s’est proposée pour favoriser l’apprentissage du civisme en famille, par exemple à travers des stages familiaux d’initiation au secourisme. Une façon de réapprendre le bénévolat à tous les âges de la vie. Pour sa part, l’association Kazabok a rappelé les vertus de l’insertion via le développement durable en détaillant des actions permettant aux jeunes de se réancrer au réel, notamment à partir du travail sur des matériels de récupération (vêtements, mobiliser, appareils électriques, électroménager…). Enfin, la création de logements partagés entre personnes âgées et jeunes générations est apparue non seulement comme une réponse sociétale appropriée, mais aussi comme une solution aux difficultés de logement, et donc d’autonomisation des jeunes.

 

Mobiliser toutes les forces sur l’intergénérationnel

Au nœud des interrogations des Guadeloupéens sur l’avenir des rapports sociaux, la question intergénérationnelle s’affirme EG a la tribuneavec de plus en plus d’acuité. On aura compris qu’un fossé se dessine avec les plus jeunes. Et même si les traditions familiales se maintiennent (le taux d’hébergement en EHPAD est l’un des plus faibles de France), de nouvelles inquiétudes se font jour, avec la multiplication des actes de délinquance à l’encontre des personnes âgées, la montée de la maltraitance et surtout un accroissement de la solitude.

C’est pourquoi une part importante des engagements de la Ville est consacrée à l’intergénérationnel [voir encadré]. Avec pour préoccupation opérationnelle le souci que les actions menées le soient de façon transversale, et impliquent non seulement les différents publics mais aussi l’ensemble des services publics et des associations.

accueilLes travaux sur la démocratie participative –justement rebaptisée « implication collective »- ont donné lieu à des considérations particulièrement pragmatiques, bien loin des envolées lyriques qui ponctuent à l’ordinaire ce genre de débat. Trois pistes essentielles ont été retenues. En premier lieu, les participants ont souhaité voir se développer le « diagnostic en marchant », concept éminemment apprécié localement, dont on trouve peu d’illustrations de la même ampleur en métropole. Par ailleurs, ils ont concrètement émis le souhait de voir s’élargir le recrutement du Conseil des Aînés et de faire évoluer son rôle vers davantage de consultation, d’interpellation des élus, et de constituer une véritable chambre de propositions.

Enfin, une préoccupation inattendue a surgi : le besoin d’évaluer l’action des associations, pour éviter le saupoudrage des subventions et tendre à plus d’efficacité.

Berrwiller : l’effet papillon ?

Le Sud-Alsace va-t-il susciter un « effet papillon », en clin d’œil à la forme de l’archipel guadeloupéen ? En tout état de cause, c’est une résolution majeure : le maire des Abymes, Eric Jalton, s’y est engagé avec force. Impressionné par l’ampleur et les résultats des Journées citoyennes présentées par Fabian Jordan, maire de Berrwiller, il a résolu de mettre à l’étude le lancement d’un mouvement du même ordre, sachant que les caractéristiques de la ville ne permettront pas d’organiser avec profit une Journée unique sur l’ensemble de son territoire.

Avec une superficie de plus de 80 km2, la ville des Abymes représente en effet à peu près le double de la surface de Lyon ou de Bordeaux. Par comparaison, Paris ne compte que 105 km2. Et la grosse vingtaine de quartiers qui composent la ville sont extrêmement disparates, depuis des zones de forte concentration d’habitat social jusqu’à des secteurs totalement ruraux.

Il s’agira donc de calibrer pour ces différents territoires des « formats » adaptés. D’ores et déjà, un pont aérien entre Mulhouse et Pointe-à-Pitre est à prévoir…

Le partenariat ? Jouer ensemble la même musique !

Au total, ces Ateliers auront surtout été marqués par une profonde détermination à ne pas laisser la gangrène de l’indifférence ronger le tissu social. Une volonté unanimement soulignée lors de la table ronde inaugurale, au cours de laquelle le Conseil régional et le Conseil général ont déclaré leur soutien plein et entier à la démarche dont, par la voix du maire de Pointe-à-Pitre Jacques Bangou, la Communauté d’agglomération Cap-Excellence s’est déclarée ipso facto partie prenante. Le partenariat semble pourvoir s’organiser ici hors des habituelles querelles de territoires institutionnels : « Nous sommes condamnés, ensemble, à réussir ». Dans un souci permanent de transversalité, comme l’a plusieurs fois souligné Eliane Guiougou. C’est ainsi que, dans un contexte riche en métaphores musicales, un participant n’a pas hésité à lancer en créole « Si nous mettons tout cela en musique, nous aurons un bon son ».

Ponctués d’interventions parfois graves mais toujours étayées, les Ateliers ont aussi connu quelques moments de grande joie, avec la prestation surprise de danseuses et de chanteuses de l’une des associations appelées à témoigner ! De profonde émotion aussi, avec l’annonce en pleins travaux du décès de Nelson Mandela. Comme par un signe du destin, les Ateliers se déroulaient précisément à la jonction du boulevard des Héros, jalonné par les statues de Delgrès et de la mulâtresse Solitude du côté des Abymes, et du boulevard Neslon-Mandela du côté Pointe-à-Pitre !

Reste à savoir si la ville, ses institutions partenaires et les associations sauront mener à bien un programme d’engagements aussi ambitieux que celui qui a été arrêté. D’ores et déjà, la ville et le Collectif envisagent la mise en place d’un groupe de suivi. Son rôle ? Evaluer les avancées sur les différents engagements, étudier les obstacles rencontrés, corriger certains des objectifs fixés. Sans oublier que Les Abymes doit jouer un rôle pilote vis-à-vis des autres collectivités d’Outremer refusant les blocages sociétaux qui pénalisent des sociétés riches d’une surprenante et exaltante vitalité.

 

Les onze engagements de la Ville des Abymes

Pris par le maire et son équipe en conclusion des Ateliers

elus et admin1 Mettre en place une politique transversale de l’intergénérationnel

Notamment dans le cadre des activités festives et à l’occasion du réaménagement des rythmes scolaires. Ces pratiques pourront notamment servir de bases pour des échanges concrets sur le développement durable et la nutrition.

2 Rendre l’informatique accessible aux plus âgés

En formant à la formation des jeunes dans les associations de quartier.

3 Renforcer le soutien au bénévolat

La MJC doit servir de point de liaison et de formation pour le bénévolat. Elle jouera également un rôle pivot dans les échanges des services, de type « troc solidaire ».

4 Développer la médiation sociale

Réintroduire la médiation à tous les niveaux (quartier, résidences, immeubles) en impliquant les organismes de logement. Former des rands frères » et des médiateurs pour mieux comprendre les attentes des jeunes. Lancer « l’hébergement solidaire »

5 Créer des lieux d’échanges parents-enfants

En organisant des activités communes avec le soutien d’accompagnants sociaux.

6 Renforcer la démocratie participative

Renforcer la représentativité dans les instances de concertation. Intensifier encore les échanges dans le cadre des chantiers de rénovation urbaine.rédaction engagements et rapports

7 Mettre en place une plateforme de mobilité

Mise en place de minibus pour les associations ; mise à disposition de voitures ou de vélos pour les personnes en recherche d’emploi ; création d’une plateforme de covoiturage.

8 Renforcer l’insertion des publics en difficultés

Notamment via des chantiers d’insertion ancrés dans le développement durable.

9 Lutter contre l’illettrisme

En organisant des sessions pour des publics de tous âges, et notamment les personnes âgées.

10 Multiplier les lieux d’échanges

Doter chaque quartier ou section rurale d’un lieu d’échange et de partage associatif de proximité.

11 Organiser des Journées citoyennes

[voir ci-dessus]

 

 

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